Franchement je n’y comprends rien. Pourquoi tout ce monde s’agite autour de moi, pourquoi vous me fixez si souvent, toi Maman et toi Papa, au point que je peux sentir votre inquiétude, mais je reste incapable de vous rassurer. Et ce n’est pas mon rôle, je ne suis qu’un nourrisson angoissé. Antoine, mon grand frère ne vient pas souvent à la maison pour nous visiter, il vit avec sa maman qui n’est pas la mienne. Comme c’est bizarre. Lizbeth et Sarah, mes soeurs, sont très occupées à se bagarrer la dernière poupée, le dernier jouet, tout est prétexte à rivaliser. C’est comme ça les petites filles, à ce qu’il paraît. J’ai entendu Papa le dire à Maman. Ma belle Maman, toujours fatiguée et si souvent au bord des larmes. Elle peine à se lever, à s’occuper de moi, est-ce moi qui la rend si triste, suis-je donc la cause de sa détresse ? Elle me fait faire le tour des experts, personne n’a de réponse à lui offrir, je ne suis pas assez âgé pour oser imaginer ce que Maman sait déjà sans oser se l’avouer. Papa l’interdit de peindre le diable sur le mur, des fois que tu le provoquerais. Encore un de plus à la culpabiliser, à nier ce qu’il refuse d’accepter. Comment l’en blâmer ? Je suis là, j’observe, je les regarde avec curiosité de mes grands yeux verts, je mange, je bois, je rie, je pleure, j’aime la glace à la vanille et Maman aussi ! J’ai de la chance, je suis dans une bonne famille, à l’aise dans mon lit, dans un recoin sombre où j’ai la paix, le silence que j’aime tant et je m’endors naturellement. Je rêve de mon secret, je me demande laquelle de ces blouses blanches saura le démasquer. Et après cinq années à nous balader d'hôpital en CHU, champions de l’errance médicale, qui nous interdit de supposer, tout en n’ayant rien pour nous rassurer. Et vint ce jour de vérité, si clair qu’il rendait impossible le confort du déni. La glace s’est rompue, le rideau s’est effondré, le mystère dévoilé. Ils ont trouvé ! Ce mot aussi réducteur qu’il n’est définitif, allait qualifier ma différence et me classer parmi les arriérés: AUTISTE ! Je suis AUTISTE ! À qui la faute ?! À vous madame ? Vous ne l’avez pas vraiment désiré ? À vous monsieur, votre famille a déjà compté des individus dont l’équilibre était mis en doute. L’autisme, nous dit le spécialiste est avant tout une affaire de statistique, de loterie infernale: 1 bébé sur 500, voilà dans quelle équation mon existence est cataloguée. Frustrés de n’avoir rien à vous proposer et refusant catégoriquement de partager votre malchance, le corps médical me cantonne, m’abandonne. Je suis donc rendu à mes foyers selon la formule consacrée. Je serai un enfant perpétuel, je ne suis pas triste, ni accablé, ce rôle c’est celui de mes proches. Je me sens bien, je ne souffre pas encore, ignorant les conséquences que cette différence produira comme souffrance à tous les membres de ma famille chérie. Un enfant avec autisme, c’est ainsi que l’on nous désigne actuellement, est une sorte de bombe atomique à retardement que le pervers hasard délivre au gré des probabilités. Si vous l’avez, c’est pas de chance. On ne s’en relève jamais vraiment. Il nous renvoie l’image de l’échec, de l’impureté, les religions et les psychanalystes incriminent sans complexe la relation toxique que moi, le détraqué, entretiendrait avec ma mère. Un abus que j’aurais subi d’elle qui, je le sais, n’a fait que m’aimer, pleurer et prié pour trouver la force de surmonter. je suis venu vous dire que si avant moi votre vie était compliquée, Avec moi votre univers entier va s’en trouver chamboulé, j’en suis persuadé, de la tête aux pieds. Tout à fait, maintenant vous le savez, j’ai tout renversé, vous m’avez appelé, je suis arrivé. Je suis là pour demander à Papa d’arrêter de se disperser, et de se consacrer, plein et entier à nous « RE.KONEKT-hé ! »